Fouad Boutahar, l'engagé
Les réseaux sociaux réservent souvent de bonnes surprises ! Après un contact en toute simplicité sur la toile, notre rendez-vous mensuel nous amène à découvrir un réalisateur engagé : Fouad Boutahar. Accrochez vos ceintures, et partez à la découverte d'un Marocain du Monde pas comme les autres !
Portrait d'Essaouira : Fouad Boutahar
Le portrait
Fouad Boutahar est un vrai Marocain du Monde. Casaoui parti s'installer en Allemagne, il parle cinq langues. Un véritable passeport pour aller à la rencontre des autres et de l'ailleurs.
Artiste dans l'âme comme dans la vie, c'est à travers le cinéma qu'il exprime le mieux tout ce qu'il a à dire. Un diplôme d'informatique et de communication en poche, il quitte le Maroc pour l'Allemagne pour étudier la médiation culturelle et les langues. Mais cela n'est pas suffisant à son goût, et les médias découverts lors de ses études ne permettent pas de traduire justement sa pensée. C'est avec l'audiovisuel qu'il fera entendre sa voix, et ça lui réussit plutôt bien !
« Engagé » est le mot tout trouvé pour définir ses œuvres et son état d'esprit. Un pied sur chaque continent, il s'ouvre un peu plus au monde à chacune de ses rencontres. Mais un constat de société perdure : les beautés artistiques du Maroc – et du monde arabe en général – restent encore trop méconnues de l'autre côté de la Méditerranée. Son savoir-faire, c'est dans cette optique qu'il l'utilisera : faire rayonner la culture marocaine à l'international (en Allemagne pour commencer) et faire reconnaître tout l'héritage culturel que les Marocains ont à offrir au monde.
Fouad a cependant les pieds sur terre, et ses tournages dans le Royaume ne se font pas toujours dans la plus grande des simplicités. Il se mesure à chaque fois aux complications des administrations locales mais ne baisse pas les bras et sort de chaque situation kafkaïenne avec brio et stratégie.
Son amour pour le Maroc a donné naissance à 3 courts-métrages* révélant à chaque fois une facette de la réalité marocaine, qu'elle soit ici ou ailleurs.
Deux de ses productions parlent d'Essaouira. La dernière, « A Saxon in Morocco & the others », vient d'être primée Pyramide d'Or à la 21e édition du ITVA-Awards en Allemagne. Elle met en avant toute la richesse de la musique Gnawa et sa fusion avec les autres cultures lors du Festival Gnaoua d'Essaouira. On y découvre 5 personnages clés, tous différents et pourtant tous liés, sur un arrière-plan de festival et de musique. Une porte d'entrée pour faire découvrir cette musique traditionnelle d'Essaouira au-delà des frontières du Royaume.
Fouad est loin de s'arrêter dans ses projets, et cette première reconnaissance internationale pour son documentaire, n'est que la première porte ouverte à une belle carrière. Parions que nous entendrons encore parler de lui !
L'interview
→ Pouvez vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Marocain, né à Casablanca, mais ma mère est originaire de Sidi Ifni dans le Sud du Maroc, une ville à laquelle je suis très attaché. Je suis installé en Allemagne depuis 2009, j'ai 35 ans et je suis le père d'une fille métisse, Layla, de mère allemande. Entre autres, je suis realisateur, musicien et médiateur interculturel quintilingue (Arabe, Francais, Anglais, Espagnol et Allemand).
→ Dans les grandes lignes, quel est votre parcours professionnel ?
J'ai étudié l'informatique à l´ISTA (Institut Spécialisé de Technologie Appliquée) à Casablanca puis les techniques de communication dans le même institut. Ensuite je me suis installé en Allemagne où j'ai étudié la médiation interculturelle et les langues étrangères (Francais, Anglais, Espagnol et Allemand) à la LOVANIA Akademie à Leipzig, en Allemagne. Après, j'ai suivi des Masterclass dans le domaine cinématographique.
→ Qu’est ce qui vous a donné envie d’exercer votre métier ?
Après mes études, je me suis demandé, comme beaucoup, ce que je faisais là ! Les opportunités qui s'ouvraient à moi ne me plaisaient pas vraiment. J'ai fait de la peinture, de la poésie et de la musique , mais l'art que je pratiquais ne suffisait pas pour combler ma curiosité ardente, celle de croire qu´on pourrait changer le monde. Après réflexion, le cinéma m'a semblé le média le plus approprié pour y arriver. Avec l'audiovisuel, on peut, par coup de fourchette, converger plusieurs arts vers un seul tout, en touchant un public plus large, grâce à l'image et au son qui induisent le mouvement.
En Allemagne, je trouvais que la situation des Maghrébins n'était pas représentative de tout ce que le monde arabe recèle de savoir-faire artistique. La plupart des Marocains installés ici sont illettrés, bien qu'ayant été scolarisés. Ces Marocains occupent malheureusement l´avant-plan des médias allemands sous le péretexte qu´ils sont mal intégrés, islamistes ou criminels. Je ne voulais pas que l'on stigmatise toute une culture autour de cette réalité. Je voulais montrer toute la valeur ajoutée que renferme notre civilisation, que ce soit en littérature ou dans les beaux-arts.
A travers le cinéma, j'ai voulu réconcilier ces deux réalités auprès du grand public. J'ai voulu être le trait d'union entre ces deux mondes, en portraitisant un Maroc méconnu, qui est jeune, discipliné et tolérant. J'ai voulu mettre la lumière sur ce Maroc qui ne correspond pas aux préjugés occidentaux.
Ainsi, j'ai l´espoir que mon travail permettra à ma fille, à moitié Marocaine, de grandir dans un futur plus facile pour elle, un futur maroco-allemand riche en échanges culturels.
→ Quelles sont les 3 étapes, ou moments, les plus importants ou les plus marquants, dans votre carrière/ vie personnelle ?
Ils ne sont pas toujours positifs mais ils ont tous été constructifs.
Le premier, c'est un tournage au Maroc où, sans l'aide du CCM (le Centre Cinématographique Marocain) ou sans autorisation, tout devient un problème. Cette fois-là, je n'avais pas avec moi l'autorisation requise par les autorités, et j'ai été arrêté par la police. J'ai du stopper ma caméra mais l'enregistreur audio tournait encore. J'ai découvert un monde kafkaïen au commissariat. Toutes les discussions, les échanges et les propos ont été enregistrés. Après être sorti du commissariat, j'ai réécouté l'audio chez moi, en toute sécurité, et j'ai été touché de réentendre le langage terre à terre entre les policiers. J'ai revécu toutes les scènes avec énormément d'impression et d´humiliation. Ça m'a bouleversé.
Mon deuxième souvenir marquant, c'est ma première participation à un festival de film international. C'était le Festival International du Cinéma et la Mer, à Mirleft. Je me suis adressé au Grand Public, en présentant un film que j'avais réalisé par mes propres moyens.
Enfin, le dernier fait marquant, c'est la Pyramide d'Or obtenue lors de la 21ème édition du ITVA-Awards en Allemagne, avec mon film « A Saxon in Morocco & the others ». C'est une consécration pour tout ce travail fourni.
→ Depuis combien de temps venez vous en séjour à Essaouira ?
A l'adolescence, mes parents m'ont beaucoup encouragé à voyager. De temps en temps, ils me donnaient un peu d'argent pour me déplacer seul, et j'ai choisi de venir à Essaouira. J'avais 16 ans, je découvrais la ville d'Essaouira. Depuis, j'y reviens au moins 2 fois par an, vu la distance et les engagements que j'ai en Allemagne. A chaque fois, je prends ma caméra et je ne cesse de tourner.
→ Quelle a été votre motivation pour faire un documentaire sur les Gnawas à Essaouira ?
Les Gnawas possèdent un art authentique, original. C'est un peu difficile de familiariser les Européens avec cette musique Gnawa dans son état fervent et occulte, car c'est très traditionnel. C'est un peu difficile pour eux de s'y retrouver. En revanche, la fusion du Festival Gnaoua, entre la musique traditionnelle marocaine et la musique du monde, offre une véritable porte d'entrée. C'est une excellente occasion d'introduire cette couleur musicale en Occident. C'est aussi grâce à cette fusion qu'un tel projet a été possible et qu'est né mon film « A Saxon in Morocco & the others », qui thématise la coexistence harmonieuse de deux protagonistes : Sven (poète allemand) et Rachid (prof d'anglais marocain).
→ Quels sont vos meilleurs souvenirs à Essaouira ?
Avant tout, c'est à Essaouira que j'ai rencontré la femme de ma vie ! C'est aussi ici que j'ai pu découvrir la scène artistique d'Essaouira, avec des écrivains locaux ou des artistes comme Boujemâa Lakhdar ou les travaux de Regraguia Benhila.
Mais j'ai aussi, malheureusement, de mauvais souvenirs, notamment quand j'ai appris la fermeture des deux cinémas (Skala et Rif), ce qui m'a vraiment attristé. Et puis, il y avait un buste sculpté d'Orson Welles (sculpture en relief) dans un jardin près de la médina. Un jour, quand je suis revenu à Essaouira, j'ai découvert que le nez du grand Orsen Welles avait été arraché, et des gens avaient collé des flyers pour un spectacle de Said Nassiri sur la statue. J'ai vraiment été attristé par ce gâchis.
→ Quel est votre « lieu » préféré à Essaouira ?
Le Chalet de la plage, chez Jeannot. J'espère qu'il restera après les travaux de la corniche. J'aime aussi beaucoup aller à Dar Souiri et au Musée des Arts Populaires, le Musée Sidi Mohamed Ben Abdellah.
D'un point de vue plus authentique, j'aime le quartier du Mellah et le bar « Afra » ( aussi appelé « le trou ») où l'on retrouve toute la vérité de la vie souirie. C'est cru !
Côté nature, j'aime les village de Moulay Douray et Moulay Bouzerktoun, à quelques kilomètres au Nord d'Essaouira.
→ Que conseillez vous à quelqu’un qui vient visiter la ville d’Essaouira ?
Avant tout, de se renseigner auprès des sites comme Balelfan (ou Vivre Essaouira – NDLR !) pour savoir tout ce qu'il se passe sur les arts et la culture, afin d'échapper au folklore touristique et côtoyer un peu l'art urbain.
A part ça, gardez un œil sur vos affaires, surtout si elles valent un certain prix, afin d'éviter de vous faire voler. Restez un peu méfiants.
Et puis – surtout pour les filles étrangères – méfiez-vous de ceux que l'on appelait les « Movita » dans les années 90 (aujourd'hui on les appelle « les Beach Boys »). Ce sont des jeunes Marocains qui ont appris quelques mots, croisés en anglais ou en français, et qui tâtonnent au hasard dans un seul but : draguer les Européennes et profiter d'elles. Il faut que les touristes fassent la distinction entre ces « bactéries malignes » et les autres Marocains plus simples et respectueux.
Lorsque j'ai commencé à fréquenter Essaouira, j'étais souvent avec mes amis, on était déjà inspiré par la littérature anglaise, française et arabe, ainsi que par l'art dans toutes ses dimensions. On acceptait la vie avec son absurdité - bref, on aimait vivre, comme beaucoup d'autres - c'était pour moi l'occasion de m'épanouir davantage en rencontrant le monde entier à Essaouira. Les Movitas, eux, ce sont des virus masqués. Ils manquent d'éducation et d'orientation.
→ Un message à faire passer à tous ceux qui vont vous lire ?
Merci d´avoir lu ! Ne cessez jamais de persévérer et de tout faire pour accomplir votre travail. Ne perdez jamais espoir. Ne vous dites pas que si vous n'êtes pas encouragé, ou subventionné, vous allez abandonner. Il faut toujours continuer car il y aura toujours un spectacle, ou des gens, qui recevront ce qui a été créé.
* Les réalisations de Fouad Boutahar :
→ Noctambule ذو الليل – réalisé et autoproduit en 2013
Synopsis : Lahab est un Marocain vivant avec son enfant et son épouse allemande, dans un pays qu´il lui est étranger : l´Allemagne. Le travail et la vie quotidienne avec sa famille ne lui laissent que peu de temps pour se consacrer à sa passion artistique. Pour lui, son atelier n’était autre qu’un abri et un échappatoire à toute lassitude de la journée, jusqu'à ce que sa double vie intense le force à prendre une décision pour sauver sa vie de famille. Est-ce qu´il devrait échanger son amour des beaux-arts, de la patrie et de l'alcool contre une vie de famille conservatrice ?
→ Fishermen's end ج ف زارومع ف شيباللففت – réalisé et autoproduit en 2014
Synospsis : Le protagoniste (Abd Rahim) est un pêcheur traditionnel équipé d’une barque, d'un petit filet et d'une canne à pêche. Il habite avec sa femme (Fatima) et leur fiston (Saleh) dans une maisonnette de l’ancienne Medina (Mellah) d’Essaouira. Fatima, pour aider la famille à se nourrir, fait un travail de recyclage adroit en faisant des oeuvres d’art à partir des restes de poissons, des coquilles et du sable, puis elle les vend aux touristes. Saleh, le fiston, chomeur stéréotypé, délinquant et analphabète, ne contribue en rien à l’économie de la famille. Il passe la nuit dehors entre les ruelles de la médina : fumer et boire de l’alcool sont ses ultimes passe-temps. Abd Rahim ne peut plus assurer son gagne-pain avec la pêche, il se trouve forcé à abandonner son métier. Finalement, il se rend compte des effets néfastes de l'accord de pêche entre le Maroc et l'UE, et de la pollution de la mer - sa conscience s´éveille. Afin de ne pas tomber dans le même cercle vicieux de la drogue et du crime comme plusieurs pêcheurs qui subissent la même contrainte que lui, il vend son équipement à bas prix et quitte la mer pour le sol. Il travaille alors dans la boucherie, un autre domaine de
consommation et de production massive, qui ne semble pas être, lui non plus, le nec plus ultra.
→ A Saxon in Morocco and the others – long-métrage de 78mn – primé Pyramide d'Or aux 21e ITVA-Awards en Allemagne, catégorie « international ».
Synopsis : Un voyage éthno-musical qui accompagne cinq personnes différentes au 18ème Festival Gnaoua et Musiques du Monde à Essaouira au Maroc : Sven, un poète allemand qui décrit son syndrome de Stendhal sur Essaouira et sa musique à travers ses poèmes, accueilli par Rachid, son ami sur Facebook – Rachid, professeur d'anglais marocain et journaliste culturel libre – Kawtar, la petite amie de Rachid, ortho-prothésiste – Mustapha, une personne ayant des besoins spécifiques (il est handicapé), un peintre et un musicien qui aime Kawtar – et enfin, Karim, le directeur du festival et batteur de fusion musicale. Tous sont rassemblés lors de ce 2ème plus grand festival de musique au Maroc, malgré leurs différents points de vue à l'égard de la culture gnaoua et de l'événement même, ajoutant à l'interprétation islamique critique de la musique Gnawa et de ses tendances à l'hérésie. Un sujet très sensible pour les Marocains dans un pays sunnite musulman, où les jeunes sont très obsédés par la musique dans toutes ses formes post-modernes.
Découvrez un extrait du documentaire sur Youtube
Informations et Contacts
Fouad Boutahar
Tel : +49 152 253 468 00
Email : [email protected]
Emeline, Pour Vivre Essaouira, le 5 janvier 2017
Toutes les photos sont la propriété de Fouad Boutahar